Yuli
Iciar Bollain | Espagne | 101’ | 2018
Yuli est le surnom du danseur Carlos Acosta qui joue son propre rôle dans la nouvelle fiction de la cinéaste Iciar Bollain. Les rues de la Havane, pauvres et abandonnées, deviennent le lieu privilégié de son apprentissage. L’incroyable destin d’un danseur étoile, des rues de Cuba au Royal Ballet de Londres.
Prix du Meilleur scénario au Festival de San Sebastián 2018.
5 nominations aux Goya 2019.
Iciar Bollain
La réalisatrice a commencé sa carrière en tant qu'actrice à l'âge de 15 ans. Un an plus tard, à 16 ans, elle a été choisie par Victor Erice, un réalisateur espagnol, pour incarner le premier rôle dans son deuxième long métrage El sur (Le Sud). Ensuite, Iciar Bollaín a joué dans différents longs métrages, un opéra et une série télévisée: Miguel Servet, la sangre y la ceniza. Elle s'est inscrite à l'École des Beaux - Arts à l'Université complutense de Madrid, université qu'elle quittera peu de temps après afin de se consacrer entièrement au cinéma. Au début de 1991, elle fonde, avec Santiago García de Leaniz et Gonzalo Tapia, une maison de production, Producciones La Iguana. C'est à ce moment qu'elle fait ses premiers pas dans le monde de la réalisation. Baja corazón (1993) et Los amigos del Muerto (1994) sont quelques exemples de ses premières réalisations. La Iguana a produit depuis sa création près de vingt films. En 1995, Iciar donne une autre tournure à sa carrière lorsqu'elle décide d'accompagner le réalisateur Ken Loach, avec qui elle avait travaillé dans le film sur la guerre civile espagnole Land and Freedom (1995), lors du tournage du drame social Carla's Song (1996) afin d'écrire un livre sur ce réalisateur anglais. Cet ouvrage s'intitule Ken Loach, un observador solidario et a été publié en 1996 par la maison d'édition El Pais-Aguilar. En 1992, elle a été nommée Meilleure Actrice espagnole de l'année par la revue Billboard Turia et elle a reçu le 'Premio ojo crítico' II Millenium de Radio Nacional de España en 1993. Elle a aussi reçu le prix 'Ciudad de Cuenca' lors de la deuxième édition du Festival du cinéma 'Mujeres en Dirección' (Des femmes réalisatrices) à Cuenca pour son parcours professionnel. Elle est membre de l'Academia de las Artes y las Ciencias Cinematográficas de España (l'Académie des arts et des sciences cinématographiques d'Espagne). En 2006, elle fonde, avec l'aide d'autres cinéastes, CIMA l'Asociación de mujeres cineastas y de medios audiovisuales (l'Association de Femmes cinéastes et des médias audiovisuels), et est membre de son Conseil d'Administration.
Article publié le 17 juillet 2019 signé par Caroline Dehouck, disponible sur le site : https://www.resmusica.com/2019/07/17/yuli-ou-lincroyable-destin-de-carlos-acosta/
Fondé sur l’autobiographie de Carlos Acosta No Way Home, le film d’Icíar Bollaín, Yuli, raconte le destin passionnant du danseur étoile cubain depuis les rues de La Havane jusqu’aux plus grandes scènes internationales. Cri d’amour pour Cuba, hymne au père, le film donne une leçon de courage et de dignité.
L’aura de Carlos Acosta, qui joue son propre rôle adulte, crève l’écran. Son visage noble, son port de tête, son allure fière, sa passion et son charisme transpirent de chacun de ses gestes. L’impressionnante carrière internationale du danseur est bien connue. Invité comme Premier danseur à l’English National Ballet, Principal au Houston Ballet, membre permanent et Guest artist du Royal Ballet, invité d’honneur des plus grandes compagnies internationales – American Ballet, Opéra de Paris, Bolchoï – il reçoit les plus prestigieuses distinctions honorifiques.
Ce que l’on connaît moins, et qui constitue l’intérêt majeur du film, ce sont les sacrifices, les déchirements, les blessures qui ont été nécessaires pour atteindre ces sommets.
C’est à travers la création d’un ballet autobiographique – Yuli, surnom donné par son père à Carlos Acosta – que le film raconte l’histoire du danseur. Cette création amène Carlos Acosta à se replonger dans ses souvenirs, racontés par l’intermédiaire de flash back.
Carlos Acosta enfant est joué par Edilson Manuel Olbera, jeune garçon talentueux et stupéfiant de naturel. L’enfance de Carlos Acosta se déroule dans un quartier pauvre de La Havane, Los Pinos. Il naît en 1973 d’un père d’origine africaine et d’une mère d’origine espagnole, dans une famille de onze enfants. Dans le film, le cadre familial est resserré autour de deux sœurs de Carlos, l’une blanche et l’autre noire. Le film illustre la différence de traitement qui peut être réservée à deux enfants d’une même famille, en raison de leur couleur de peau. Arrière-petit-fils d’esclave par son père, Carlos n’échappe pas à la mémoire de l’esclavage, transmise par son père.
Le jeune garçon, indiscipliné et turbulent, s’adonne aux battle de hip-hop et évolue dans un univers très éloigné de la danse classique. C’est son père Pedro, camionneur de profession, homme autoritaire et dur, qui décide que son fils sera danseur. Il tient chevillée au corps la conviction que son Yuli est né pour avoir une destinée exceptionnelle, et venger sa famille, et plus largement le peuple cubain, de la misère et des humiliations subies.
Pedro emmène Yuli à l’école du Ballet national de Cuba, où le potentiel de l’enfant est immédiatement détecté. Mais le garçon n’a pas envie de devenir danseur classique. Il préfère devenir footballeur. L’apprentissage se fait sous la contrainte, au milieu des moqueries des camarades du quartier. Se plier à la discipline de la danse classique est une souffrance pour le jeune Yuli, qui refuse de porter le fardeau des aspirations paternelles sur ses épaules. Mais la volonté de son père est plus forte que la sienne. Après avoir été renvoyé pour indiscipline, Yuli est envoyé dans un internat en province et séparé de sa famille. Cette blessure et le sentiment de solitude resteront profondément imprimés en lui.
Le déclic se produit à un spectacle de l’école où il admire les sauts du danseur dans Le Corsaire. Le talent du jeune homme lui ouvre les portes de la réussite. Il remporte le Prix de Lausanne à 16 ans, puis un contrat de Principal lui est proposé par l’English National Ballet à 18 ans. Mais une fois encore, le jeune homme y va à reculons. Quitter Cuba et sa famille est une nouvelle souffrance. Si une carrière de soliste prometteuse lui ouvre les bras, Yuli n’oubliera jamais son pays et les siens.
A la suite d’une blessure, il rentre à Cuba où il est confronté à la misère du peuple cubain et au sentiment d’être devenu un étranger parmi les siens. A nouveau la tentation de tout arrêter est forte. Ce sera sa professeure de danse, qui l’a soutenu depuis son enfance, qui le remettra en selle. Les portes du Houston Ballet lui sont ouvertes. Puis ce sera Londres, à nouveau, au Royal Ballet. Puis les tournées internationales.
Le couronnement de cette carrière pour Yuli, c’est la fierté qu’il lit dans les yeux de son père, gagnée au prix de tant de sacrifices. De cette relation conflictuelle, de cette intransigeance dans laquelle se cache un amour profond pour son fils, est né un artiste, qui a su exploiter ses failles et ses souffrances pour communiquer de l’émotion sur scène. Les extraits de vidéo – que ce soit celle du Prix de Lausanne ou de Roméo et Juliette – montrent un artiste profondément engagé dans son art, où le sentiment d’urgence domine.
La trame du film comporte certes quelques clichés : la revanche d’un petit garçon noir, descendant d’esclaves et issu d’un milieu pauvre, qui est devenu un symbole de réussite pour sa famille mais plus largement pour son pays ; le don artistique qui est aussi une malédiction pour celui qui le porte ; un destin individuel exceptionnel érigé en modèle pour en faire un message d’espoir. Carlos Acosta construit sa propre légende.
Il faut néanmoins saluer la beauté des images de Cuba, le regard porté sur le contexte politique et l’hommage rendu à l’incroyable école de danse cubaine, qui a fait émerger tant de danseurs d’exception. Le film est porté par un excellent trio d’acteurs, formé par Santiago Alfonso, Keyvin Martínez et Edilson Manuel Olbera. L’interprétation de Santiago Alfonso dans le rôle complexe du père de Carlos est magistrale ; il parvient à rendre le personnage à la fois détestable, attendrissant et profondément humain. Enfin, le film donne le plaisir de voir les magnifiques danseurs de la compagnie créée par Carlos Acosta, l’Acosta Danza. Carlos Acosta a réussi son projet de vie : de retour à Cuba, où il est vénéré, il a fondé une compagnie qui permet à des jeunes danseurs cubains talentueux de s’en sortir. La boucle est bouclée.
Article publié le 17 juillet 2019 signé par Brigitte Hernandez, accessible sur le site : https://www.lepoint.fr/cinema/cinema-pourquoi-il-faut-voir-yuli-17-07-2019-2325102_35.php
« J’aime pas la danse, moi ! Je veux pas danser, je veux pas aller dans cette école ! J’irai plus ! » Yuli a une dizaine d’années lorsqu’il lance ces quatre vérités à son père. Le ballet deviendra pourtant la vie de Carlos Acosta, l’un des brillants « principals » du Royal Ballet de Londres (entre autres), qu’il quittera en 2015 et qui recevra le titre de Commandeur de l’Ordre britannique pour une carrière exceptionnelle.
Yuli – le surnom de Carlos enfant – a « quelque chose », un « plus », un don. Mais il a surtout un père, Pedro, conducteur de camions, qui a lui aussi un don, celui de voir pour son fils une carrière d’artiste et pas n’importe quel artiste : un danseur. Pas habituel surtout dans leur milieu pauvre où les danseurs sont traités de pédés, où la seule scène qu’on connaît, c’est la rue. Ce sont les années 1980, la famille, très nombreuse, vit comme elle peut. Alors, la danse !
Confrontation
Yuli traîne des pieds pour la première audition à l’école nationale du ballet de Cuba. Mais les professeurs qui font passer l’examen physique du petit garçon sont stupéfaits par le gamin. Une place, gratuite, lui sera réservée pour étudier dans cette école renommée. La poisse pour Yuli, qui préfère la liberté des chats dans le jardin et le foot avec les copains. L’école, il s’en fiche. Les pliés tendus, les cinq positions, le dos droit, il s’en fiche. La discipline, pas pour lui. Alors, il se tire dès qu’il peut. Rattrapé chaque fois par son père.
Et voici où l’histoire prend sa force. Car l’intensité de ce beau film tient dans la confrontation entre le père et le fils, deux personnalités extrêmes et passionnées, l’une qui use de son pouvoir parce qu’il veut un destin pour son garçon, l’autre qui refuse obstinément ce chemin et qui montre sa volonté. Le père joué par Santiago Alfonso, acteur, danseur, chorégraphe, professeur, possède une classe folle. Le lien qu’il tisse avec le jeune acteur Edilson Manuel Olbera (parfait et repéré dès le premier casting) soutient l’architecture du film.
C’est aussi Cuba que l’on découvre. Une partie de la famille émigre tôt à Miami et c’est le déchirement. Le père emmène son fils voir l’endroit où vivait sa grand-mère, esclave noire : une plantation dont il ne reste que quelques ruines, pas question d’oublier d’où on vient. Yuli le métis rêvera d’en faire un théâtre. Il finira par accepter « d’être si doué » et d’apprendre à devenir un danseur. Son talent si évident lui vaudra de partir s’installer à Londres, grise et froide, où le National Ballet lui offre un premier contrat en 1991. Il a dix-huit ans. Lorsqu’il reviendra à La Havane à cause d’une blessure (Yuli est alors incarné par le danseur Keyvin Martinez), l’Union soviétique s’est effondrée et la crise que vit Cuba force une partie de ses habitants à s’enfuir sur les « balsas », les barques de fortune pour rejoindre la riche Amérique. Yuli est la fierté de tous, mais au fond de lui, il continue à refuser la danse. Ce conflit, c’est avec lui-même qu’il devra le résoudre.
Le film, qui ne craint pas l’émotion sans jamais sombrer dans le pathos, s’appuie sur la danse sans la dénaturer. Carlos Acosta est là, témoin et acteur, chorégraphe de sa propre histoire, comme son père l’a été pour sa propre vie. « L’étoile de ma vie, c’est mon père, dit Accosta. Sans lui, je serais devenu un voyou. » Une vie de danseur, qui fut comme souvent, le résultat d’un combat. Yuli était né danseur, il a dû accepter d’en payer le prix.
Yuli, de Iciar Bollain, avec Edilson Manuel Olberta, Keyvin Martinez et Santiago Alfonso, durée 1 h 50