Sifonía para Ana
Ernesto Ardito & Virna Molina | Argentine | 119’ | 2017
Au début des années 70, Ana est une adolescente heureuse. Avec Isa, sa meilleure amie, elles vivent le temps des amours et de la rébellion. Tout change lorsqu’elle fait la connaissance de Lito. La pression de ses amis et ses propres peurs intimes la plongent dans un univers de doutes qui lui font chercher refuge auprès du mystérieux Camilo. Elle navigue entre deux amours alors que la dictature obscurcit son monde. A seulement 15 ans, Ana doit lutter pour conserver sa vie sans renoncer à ce qu’elle aime le plus.
Adaptation du roman éponyme de Gaby Meik, Sinfonia Para Ana revient sur une période sombre de l’Argentine et accompagne ses personnages de jeunes militants sous la dictature. Le film en compétition au Cinélatino emprunte au genre du documentaire qui est cher au duo de réalisateurs, Ernesto Ardito et Virna Molina, tous deux documentaristes aguerris. En s’appuyant sur ce qu’ils appellent une « esthétique du souvenir », ils revitalisent une mémoire écrasée par le fascisme avec une force politique indéniable.
Sinfonia Para Ana emprunte pour beaucoup au documentaire, au point de brouiller les limites avec la fiction en intégrant par moments des images d’archives à son montage. En laissant parler la voix-off qui se remémore son Histoire et nous la présente, le film prend le parti de composer un récit à mi-chemin entre drame intimiste et documentaire. Un choix audacieux et chargé de sens, dans la mesure où précisément, cette histoire politique a été « écrasée », effacée de force par les « disparitions » ou les exils de leurs représentants.
Le film adopte le point de vue d’Ana, jeune fille de 14 ans à peine, et écarte en revanche les adultes, a fortiori bourgeois, de son champ de vision (et d’action !). Sinfonia Para Ana prend alors quelquefois des allures d’un film sur la jeunesse, évoquant ses amours, ses craintes et ses désillusions, avec tendresse, pour impliquer dans le même temps la pression politique et la nécessité de leur engagement. En cela, le film est réussi, vibrant et sans conditions, comme le sont ses personnages. En revanche, la mise en scène systématisée tend à provoquer la réaction inverse de ce qu’on pouvait en attendre. Composé en très grande partie de gros plans, Sinfonia Para Ana semble en effet limiter son expression de l’intimité de ses personnages à l’exposition face caméra de lèvres tremblantes, larmes et sourires toutes les cinq minutes. Le film fait régulièrement dans la sur-signification et le surlignage (motifs symboliques récurrents, bande-son répétitive et appuyée…), au détriment de l’harmonie d’ensemble et du sens de l’authenticité recherchés. On peut toutefois compter sur l’interprétation solide des jeunes acteurs, eux-mêmes engagés, et le décor d’époque saisi avec sobriété pour revenir au film avec plus de conviction.
Sinfonia Para Ana pâtit de sa tendance à la systématisation de sa réalisation et ses effets de surlignage émotionnels ou narratifs. Le film n’en reste pas moins audacieux et important dans sa vocation à rendre la parole aux oubliés, « disparus » de la dictature fasciste en Argentine. Il marque par ailleurs avec d’autres films de la programmation de Cinélatino la vivacité d’un cinéma très actuel et politique d’Amérique latine.
Article du site : https://www.aufeufollet.fr/2018/03/20/cinelatino-sinfonia-para-ana/