Joel, une enfance en Patagonie
Carlos Sorin | Argentine | 100’ | 2018
Ne pouvant pas avoir d’enfant, Cecilia et Diego, qui viennent d’emménager dans une petite ville de la Terre de Feu, attendent depuis longtemps de pouvoir adopter. L’arrivée soudaine de Joel, un garçon de 9 ans, va bouleverser leur vie et l’équilibre de la petite communauté provinciale.
Publié le 10 juillet 2019, par Courrier International, article signé Marie Béloeil.
Source : https://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/cinema-joel-une-enfance-en-patagonie-parents-du-bout-du-monde-mode-demploi
Joel, une enfance en Patagonie sort le 10 juillet en France. Dans ce nouveau film, Carlos Sorín, figure du cinéma argentin, s’empare du thème de l’adoption. Voici ce qu’en a pensé la presse argentine.
Une femme marche dans la neige et le froid. Elle vient retrouver son mari qui travaille sur un chantier forestier près de Tolhuin, une petite ville de la Terre de Feu. “Le tribunal pour enfants a appelé. Ils ont un petit…” La discussion se poursuit dans la voiture du couple. “Ils m’ont dit qu’il était un peu plus âgé que prévu”, dit-elle. Lui : “Il a quel âge ?” Elle : “À l’entretien, on avait demandé à ce qu’il ait 4 ou 5 ans… Il a 8 ans.” Échange de regards. “Tu trouves ça trop vieux ?”
En version originale, le nouveau long-métrage de Carlos Sorín, connu pour ses films intimistes et socialement engagés (Historias mínimas, Bombón le chien, Jours de pêche en Patagonie…), s’appelle simplement Joel. Joel, du nom de l’enfant (Joel Noguera) qui s’impose tout à coup dans la vie de Cecilia (Victoria Almeida) et de son mari Diego (Diego Gentile), candidats à l’adoption. Un garçon qui surgit plus tôt qu’espéré, qui est plus âgé que prévu, et dont la venue, comme une pierre dans l’eau, provoque une série d’ondes de choc dont les répercussions se manifestent peu à peu.
Portrait d’une mère débutante
Cecilia est la première à être ébranlée. Joel met à l’épreuve son désir d’enfant. L’espace qu’elle avait commencé à aménager dans sa maison, dans sa vie, dans son cœur pour accueillir un bambin sera-t-il assez grand ? Adapté aux besoins de Joel ? Ce dernier se sentira-t-il chez lui à Tolhuin ?
Joel, une enfance en Patagonie “est le premier film de Carlos Sorín qui a une femme pour héroïne”, relève Clarín. Le long-métrage est d’abord le portrait de celle-ci. Comme le résume le quotidien de Buenos Aires : « Ce sont les doutes, les peurs, les terreurs de Cecilia que nous observons, toute son incertitude face à cette maternité soudaine et compliquée. Le film aborde l’aspect le plus âpre de l’adoption : les petites et petits au lourd passé, celles et ceux dont personne ne veut.”
Le tableau d’une communauté reculée
Carlos Sorín, né dans la capitale argentine, connaît bien la Patagonie. Il y a tourné sept de ses neuf films. “J’aime filmer en terrain inhospitalier, contrairement à Chabrol qui choisissait ses lieux de tournage en fonction de ses restaurants préférés”, confie-t-il sous forme de boutade à Clarín. “La géographie dans ses films paraît, d’abord, si ce n’est anecdotique du moins secondaire, mais chacun de ses récits prouve tout à fait le contraire, car leur progression dramatique n’est possible que dans certains contextes précis”, analyse pour sa part Pagina 12. “Joel, une enfance en Patagonie ne fait pas exception : même si [cette histoire d’adoption] pourrait avoir lieu n’importe où, les caractéristiques sociales d’une petite ville, associées à un climat extrême qui conjugue beauté et désolation, exercent une telle pression sur les personnages et leurs dilemmes qu’elles finissent par créer une singularité difficile à transplanter ailleurs.”
Joel surgit dans la ville de Tolhuin comme il a fait irruption dans la vie de Cecilia et Diego. “Au travers de rêves, d’un apprentissage de la paternité, de conflits à l’école, des difficultés éducatives et de l’insertion sociale, le film nous pousse à réfléchir sur l’égalité des chances et les valeurs de notre société”, décrypte La Nacion. Les habitants ont peur que Joel, venu des banlieues pauvres de Buenos Aires, n’apporte la drogue dans leur ville. Une situation à laquelle Carlos Sorín a pu être confronté en tant que grand-père : “À la crèche de mon petit-fils, l’arrivée d’un enfant a révolté les parents, car sa mère ayant le sida ils avaient peur que lui aussi soit séropositif. Ça m’a paru d’une dureté scandaleuse, mais j’ai aussi compris que nous sommes tous victimes de préjugés sociaux, raciaux et culturels enracinés dans notre société.”
Dans la lignée des frères Dardenne
En Argentine, la sortie du film a été l’occasion pour la presse d’alerter sur la situation du marché de l’adoption. Selon des chiffres officiels repris par La Nacion, 5 000 familles ont déposé un dossier pour adopter. Mais seulement 15 % d’entre elles sont prêtes à accueillir un enfant de plus de huit ans, et 0,8 % un enfant de plus de douze ans. Or très peu de bébés sont abandonnés à la naissance. Beaucoup des mineurs proposés à l’adoption le sont parce que leur famille a failli ou s’est désintégrée. Ils sont donc souvent plus âgés. Et pour eux, les statistiques sont accablantes. “Un enfant qui n’est pas adopté court de grands risques de sombrer plus tard dans la marginalité”, prévient Carlos Sorín.
Dans l’entretien qu’il a accordé à Clarín, le cinéaste précise qu’il a travaillé sur Joel, une enfance en Patagonie, comme sur ses précédents films : sans directeur artistique, assumant son “choix esthétique d’intervenir le moins possible”. Il laisse jouer ses acteurs, surtout quand ils ne sont pas professionnels comme le jeune Joel Noguera. “Je les filme et ils font ce qu’ils veulent. […] Je m’adapte au personnage comme un tailleur qui fait du sur-mesure”, poursuit-il : « L’essence du réalisateur, plus que dans le tournage et la direction des acteurs, réside dans le montage. C’est ainsi que se révèlent mes personnages.”
C’est sans doute cette façon de procéder qui fait la valeur de son travail et empêche son long-métrage de devenir “une illustration didactique de certaines idées”, écrit Pagina 12 pour qui le film déploie “un univers éthique et narratif comparable à celui des frères Dardenne” : “Almeida et Gentile sont ceux qui préservent en grande partie l’équilibre, bien que la présence du jeune Joel Noguera n’ait rien de secondaire. Cet enfant calme au regard triste – qui fait des réponses monosyllabiques – met rapidement à nu un passé compliqué. Son expérience succinte mais dure l’empêche de poser un regard optimiste sur ses perspectives d’avenir.”
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Joel, en enfance en Patagonie sort le 10 juillet en France, en partenariat avec Courrier international.
https://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/cinema-joel-une-enfance-en-patagonie-parents-du-bout-du-monde-mode-demploi