El empleado y el patron
Manuel Nieto Zas | Uruguay | 106' | 2021
L’employeur est un jeune homme qui semble avoir tout pour lui, pourtant il est en proie à une inquiétude : la santé de son bébé. L’employé est à la recherche d’un travail pour subvenir aux besoins de son nouveau-né et n’hésite pas lorsque le premier lui propose de l’embaucher pour travailler dans ses terres. Grâce à leur entraide, les deux répondront à leurs besoins. Mais un jour, un accident se produit. Cet événement va tendre les liens qui les lient et mettre en danger le sort des deux familles.
Projection le samedi 19 à 17h45 en présence du réalisateur Manuel Nieto et le dimanche 20 à 18h30 au cinéma Les Colonnes de Blanquefort
Le réalisateur
Manuel Nieto Zas
Manuel Nieto Zas (Montevideo, 1972) fait partie de la nouvelle génération du cinéma uruguayen. En 2006, il écrit et réalise son premier long métrage, La meute, qui reçoit le prix Tiger au festival de Rotterdam. Il a ensuite réalisé El lugar del hijo en 2013, qu’il a également écrit et produit. La première a lieu au Festival de Toronto et le film a remporté, entre autres, le prix FIPRESCI au Festival du film de La Havane. L’employé et le patron est son troisième long métrage.
Pour aller plus loin...
Un employé et son patron font partie de la nouvelle génération qui s’empare des responsabilités professionnelles de leur père respectif. Ils sont également tous deux de jeunes pères. Un drame va cependant révéler entre eux tout ce qui les sépare.
Film programmé par la Quinzaine des Réalisateurs au festival de Cannes 2021 : El Empleado y el patrón de Manuel Nieto Zas
À l’heure du violent ordre politique de la « théorie du ruissellement » selon laquelle il faut des chefs d’entreprises toujours plus riches pour faire vivre les salariés, les rapports de classe restent d’une virulente actualité de par le monde. C’est dans le contexte uruguayen de la culture rurale de la construction virile du gaucho que cette peinture des conflits sociaux est posée, réactualisant le dispositif savamment mis en scène par Jean Renoir dans La Règle du jeu (1939). Le patron et l’employé mis en valeur par le titre du film ont ici en commun d’entreprendre pour la première fois ou presque ce rôle social qui découle de l’héritage direct de leur propre père. Tout semble encore possible entre eux, notamment du côté du patron joué par le très empathique et subtilement charismatique Nahuel Pérez Biscayart (grande révélation des cinémas argentin et français avec Sang impur, 120 battements par minute, Au-revoir là-haut) qui refuse de jouer le mépris de classe que manifeste sans complexe son entourage à l’égard de leurs employés. Quant à l’employé joué par Cristian Borges, autour de sa présence mutique, il semble suivre sans sourciller la répétition de la distinction sociale irréconciliable. La confrontation entre ces deux protagonistes n’en devient que plus sourde, inquiétante et violente. L’apparente légèreté de premier plan du film de Renoir fait ici place à une tension psychologique flirtant dans certaines scènes avec le thriller.
Le duel propre au western classique entre des personnages antagoniques prend ici un tour totalement inattendu et imprègne chaque scène durablement. Manuel Nieto Zas comme dans son précédent film El Lugar del hijo (2013) use de sa connaissance privilégiée avec le milieu rural du gaucho pour enraciner toute sa mise en scène dans une mécanique extrêmement bien huilée où le cadre bucolique réaliste laisse place à la tragédie politique.
Source : Quinzaine des Réalisateurs à Cannes : « El Empleado y el patrón » de … — Le Club (mediapart.fr)
Présenté au dernier Festival de Cannes, El empleado y el patrón de Manuel Nieto, l’une des expressions les plus vigoureuses du nouveau cinéma uruguayen, sort en salles le 13 janvier. Centré sur la figure de Rodrigo, un jeune propriétaire terrien joué par Nahuel Perez Biscayart qui est déchiré entre le maintien de son rôle de classe et l’amitié avec ceux qui lui sont inférieurs, le film traite sans convention des inégalités latino-américaines et fait appel aux contrastes et aux ambiguïtés de tous ceux qui sont impliqués dans le jeu social.
Dans la première scène de El empleado y el patrón, le troisième film du réalisateur uruguayen Manuel Nieto Zas, une femme secoue un bébé au rythme de sifflets brisés, de sons scandés et d’un mouvement croissant qui crée l’aura d’un rituel. Le petit Bautista est enveloppé dans un tissu, suspendu de façon insaisissable dans le lointain du cadre, à peine reconnaissable par les faibles gémissements qui le trahissent. Le cérémonial est ludique mais en même temps imprégné d’une recherche précise, la découverte d’un « syndrome » qui pourrait être présent en lui, à l’abri des regards. La scène résume le regard de Nieto Zas, qui convertit l’espace millimétrique de sa mise en scène en un territoire jamais stable, toujours en tension et en conflit, révélé comme une frontière physique et sociale, sans jamais s’échouer dans les lieux communs ou dans la conversion des relations sociales en mandats naturalisés. Présenté à la Quinzaine des réalisateurs au dernier Festival de Cannes et à partir du 13 janvier dans les cinémas argentins, El empleado y el patrón dénote la vigueur du nouveau cinéma uruguayen synthétisé par la figure de Manolo Nieto, capable de mettre en scène les racines profondes des inégalités latino-américaines dans une danse où coexistent désaccords et harmonies.
La scène d’ouverture se termine par un diagnostic incertain : Bautista peut ou non être atteint du syndrome, une affirmation qui installe dans le couple de Rodrigo (Nahuel Perez Biscayart) et Federica (Justina Bustos) un état d’anxiété progressive, qui se confond avec les exigences de la récolte imminente de soja. Rodrigo est le propriétaire d’un ranch à la frontière entre l’Uruguay et le Brésil. Il doit faire face à la pénurie de travailleurs pour lever le soja, trouver un chauffeur pour la moissonneuse, respecter les délais exigés par son père et, enfin, être à la hauteur de son héritage. Malgré son apparence millénaire et sa fraternité cool avec les employés du ranch, Rodrigo incarne une puissance qui se cache dans sa circulation en ville, les vêtements simples, le joint partagé et les concerts de rock, mais qui gravite dans sa place dans le monde, dans l’exercice d’un commandement qui, même dans sa dispersion, y est toujours présent. Nieto construit patiemment le monde qui enveloppe son personnage, ses limites imprécises, la mauvaise conscience de son autorité, et il le fait dans un espace ouvert et lumineux qui cache les menaces dans ses profondeurs, sous l’apparente clarté des jours ensoleillés.
Face à l’urgence des récoltes et aux exigences de son père (joué par Jean-Pierre Noher), Rodrigo a un besoin urgent d’un opérateur pour les machines. Il s’aventure donc de l’autre côté du fleuve, sur cette frontière marquée par les mauvaises herbes et le portuñol, pour suivre la piste de Lacuesta, un ancien employé de son père qui campe avec sa famille dans un endroit quelque peu isolé. Comme Lacuesta est maintenant âgé et en mauvaise santé, il lui propose son fils Carlos (Cristian Borges) comme remplaçant, un jeune homme de 18 ans qui a déjà une famille à charge. Entre les premières responsabilités de la paternité et l’adrénaline de la chasse au sanglier, la vie de Carlos est magnifiée par un seul rêve : la possibilité de courir la rafle de Santa Clara avec le meilleur jeune taureau. C’est pourquoi la vie sur le tracteur, dans le fourré de soja, enfermé dans une petite cabane en bois à attendre le travail du jour ne signifie pour Carlos que le préambule au triomphe auquel il aspire sans repos. Tous deux parents, assiégés par les angoisses de leurs engagements, conditionnés par les mandats paternels, Rodrigo et Carlos nouent un lien qui semble remettre en cause leurs places sociales, mettre à mal ces différences qui semblaient à première vue insurmontables.
Comme dans les précédents La perrera (2006) et El lugar del hijo (2013), Nieto explore le conflit de classe au-delà des représentations habituelles, esquivant les frontières précises, l’irruption du conflit comme élément déclencheur, la tentation de délimiter héros et méchants. Dans La perrera, c’est la rencontre d’un jeune intellectuel uruguayen de la classe moyenne avec les habitants d’une ville côtière hors saison et cette dynamique surprenante qui teinte chaque rencontre. Dans El lugar del hijo, les tensions entre les classes sociales émergent avec plus d’obscurité de la collision entre des formes divergentes de militantisme qui opposent un fils à la mémoire de son père. Nieto ne se contente pas de creuser les continuités qui ont défini le panorama latino-américain en termes politiques, économiques et sociaux, mais il démantèle les enclaves urbaines pour pénétrer dans des territoires imprégnés de réalité plutôt que de discours, élargit les positions de ses personnages, enrichit leurs aspirations, leurs dilemmes et aussi la conscience douloureuse de la place qu’ils occupent.
La décision de Nieto consiste à placer le conflit comme une émergence qui expose la fausse harmonie de cette coexistence. Ainsi, la relation tissée entre Rodrigo et Carlos est altérée par un accident du travail et ses conséquences tragiques, mais surtout par ses réverbérations incertaines, qui cristallisent les différences jusqu’alors camouflées dans une aimable concorde. Il est difficile de trouver ce ton sans tomber dans la manipulation, car l’état qui retient l’attention de Nieto émerge de l’intérieur des personnages. Dans une scène où Carlos distribue le rôti à un groupe de convives à l’estancia, l’un des invités lui demande plus de whisky. Carlos s’exécute et remplit le verre à ras bord, poussé par la demande de l’invité. Alors que le colporteur tente de siroter le whisky sans le renverser, Carlos rit, motivé par la situation angoissante mais aussi comme un glissement de son propre triomphe sur le donneur d’ordres. « Voyons s’il est payé pour rire », dit une voix qui expose clairement le lieu de pouvoir qu’il détient. Le visage de Rodrigo, présent tout au long de la séquence, transfigure dans son expression progressive le dilemme dans lequel il se trouve.
La texture poreuse de El empleado y el patrón exhale l’essence de ses nuances, toujours suggestives dans ce qui se trouve au-delà du regard, dans la courbe parfaite de ses profondeurs. Ces extérieurs immenses, qui révèlent dans la durée des plans l’attente du sinistre, coexistent avec le labyrinthe dans lequel entrent les personnages, empêtrés dans leur culpabilité et leurs tentatives de fuite, dans l’éclair d’un fardeau qu’ils portent toujours sur leur dos. Nieto s’est montré le meilleur observateur de ce rituel abstrait, de cet ordre immuable.
Source : https://www.pagina12.com.ar/393351-el-empleado-y-el-patron-de-manuel-nieto