Basta ya de conciliar es tiempo de luchar
Leonardo Perez | Chili | 80’ | 2014
Pedro Jofré, Elize Cárcamos et Pedro Aguilera, dirigeants de lycées emblématiques de Santiago du Chili, luttent pour récupérer l’éducation publique et rejettent les politiques institutionnelles. Afin de construire une société différente, ils militent pour que les droits sociaux ne soient plus une marchandise et pour mettre fin aux politiques héritées de Pinochet qui ont été développées et perfectionnées par la Concertation. Ce documentaire nous montre une autre réalité du mouvement étudiant et la force de son basculement progressif en véritable mouvement social.
Leonardo Perez
Réalisateur et médiateur culturel mapuche, Leonardo Perez travaille sensiblement la mémoire historique pour tacher de construire une réalité collective en réponse à la censure de l'histoire et aux biais médiatiques. Dirigeant de mouvement étudiant dans les années 80, il s’intéresse depuis à la crise politique au Chili et accorde beaucoup d’importance à l’éducation populaire. Il définit son cinéma comme militant. Il a réalisé en 2014 le documentaire Basta ya de conciliar es tiempo de luchar, travail qui s’inscrit parfaitement dans sa lutte pour construire une société différente.
Nous avons été frappés par la densité du film et la percutante capacité d’analyse de ces jeunes, dévoilés à l’écran. Nous sommes immédiatement saisis par leur conscience politique, leur maturité, leur courage et leur détermination pour redessiner un monde à leur image. Nous suivons essentiellement Pedro Jofré, Elize Cárcamos et Pedro Aguilera, présidents des Conseils de Vie Lycéenne de leurs établissements respectifs, emblématiques de Santiago du Chili. Le documentaire leur donne la parole en les accompagnant au cœur de leur lutte pour récupérer l’éducation publique. Les images de manifestations, d’assemblées lycéennes, de discussions et d’affrontements avec les forces de l’ordre dialoguent entre elles ; la violence physique en résultant faisant sombrement échos à la violence symbolique d’un gouvernement hérité de Pinochet, développé et perfectionné par la Concertation. Avec éloquence, ces jeunes rejettent les politiques institutionnelles et s’organisent pour penser et construire une société différente et plus juste, où les droits sociaux ne soient plus une marchandise.
Leonardo Perez est Mapuche, une culture qui recentre la vie autour de la spiritualité. Pour lui les choses arrivent par ce qu’elles doivent arriver. Ainsi, ce film est une rencontre magique. L’association de ses images, de ses paroles d’étudiants et de ses chansons empruntées aux luttes passées, résonnent et vibrent dans le présent. Les voix de Liliana Felipe (« Nos tienen miedo porque no tenemos miedo » Ils ont peur de nous parce que nous n’avons pas peur) et Raúl Martell accompagnent le déroulement du documentaire. Les chansons n’ont pas été écrites pour le film mais elles soulignent le fait que l’ennemi interne c’est les mapuche et les lycéens. Le gouvernement a peur d’eux par ce qu’ils ne plient pas. Ils sont dignes et ils ne font pas de concessions, ils ne négocient pas, ils gardent leurs revendications. Ils en encore des rêves et des choses à défendre. Ils ne sont pas encore résignés et serviles.
« Basta ya de conciliar, es tiempo de luchar », n’a pas eu de couverture médiatique ni aucune visibilité au Chili. Le seul lycéen qui l’ait vu c’est Pedro, l’un des personnages principaux. Leo a mis sont film sur internet pour que les gens puissent le voir gratuitement, malgré cela, force est de constater qu’il a été très peu regardé. La population est abreuvé de télévision. La Dictature à brulé les livres et est venue à bout de la mémoire et de la concentration des gens. Aujourd’hui, on considère que le temps d’attention et de retenue de l’information de la majorité des chiliens ne dépasse pas la minute.
La dicatature à détruit les médias d’opposition et aujourd’hui l’Etat continue de financer les grands médias ce qui lui assure un contrôle de l’information. La presse alternative est très fragile et le Chili a recours aux paramilitaires pour faire le « nettoyage » et créer la terreur. Il est très risqué d’être un journaliste indépendant, Leonardo Perez témoigne avoir été visé par des tirs de flash ball pendant le tournage. Seule les réseaux sociaux restent une fenêtre de liberté d’expression.
Des présidences de Patricio Aylwin à celle de Sebastian Piñera-le président actuel-l’Etat au Chili s’est totalement désintégré, lourd de l’héritage de la dictature. Un système libéral avec criminalisation perpétrée à l’encontre des enfants s’est perpétué. Le Chili subit un déficit d’éducation publique. La méritocratie est inscrite dans la Constitution, Constitution dans laquelle ne figure a contrario nulle valeur d’éducation républicaine. On constate un effet de boucle systémique que l’on retrouve malheureusement dans un grand nombre de pays aux démocraties défaillantes.
Il y a beaucoup d’offres en université mais les étudiants pour cinq années d’études remboursent pendant 15 ans leurs frais de scolarité, par un système vicieux de surendettement. On parle de gratuité de l’Éducation aujourd’hui au Chili, mais c’est en fait essentiellement un système concurrentiel régis par des bourses. L’Éducation est une marchandise par laquelle on peut faire beaucoup de profits. Moins de 20 % des écoles sont publiques. Cette fracture social rompant les rêves des lycéens est à l’origine du soulèvement. Frustrés et condamnés, ses jeunes réclament leur droits sociaux et leur droit à l’éducation.
France Amérique latine s’est créé en 1970 par des amis de l’Amérique latine, qui voulaient soutenir Salvador Allende et dénoncer la Dictature. À cette époque il y avait le Plan Condor, 50 ans après on voit que le Plan Condor est toujours en place, on l’a vu à l’œuvre en Bolivie, au Chili, au Venezuela.
Ce documentaire nous montre une autre réalité du mouvement étudiant et la force de son basculement progressif en véritable mouvement social. En effet, la caméra tache de montrer les assemblés, d’ordinaire fermés au regard, l’organisation, la parole et la construction de la lutte étudiante qui nous éclaire jusqu’au « ¡Chile despertó! » de cet automne.
Le thème de la violence et de l’affrontement était inextricable de cette approche de la lutte étudiante. Leonardo Perez l’ayant lui même vécu pendant la dictature et ses années étudiantes dans les années 90. Il voulait souligner par son film, cette permanence de la brutalité au Chili. La documentation de cette contestation populaire dévoile un autre visage de la police, celui d’une institution sauvage, assassine, criminelle; une image bien différente de celle véhiculée par les médias étatiques. On y découvre une institution rétrograde et rasciste. Dans la formation des policiers au Chili, la tendance au fanatisme religieux évangéliste est forte. Les massacres discriminatoires commis par les forces de l’ordre à l’encontre des Mapuches sont encore trop peu dénoncés. Les médias jouent le jeu des autorités et orchestrent l’incrimination systématique des manifestants.
Le decret de 1982, encore bien présent, entrave le droit à manifester. L’État du Chili depuis sa création est un État répressif, de la genèse de sa République jusqu’à aujourd’hui. Il y a encore quelques 2500 prisonniers politiques dans le pays. Le pouvoir économique défend la police et l’armée. Dernièrement, lors de manifestations durement réprimées on ne compte pas moins de 460 personnes mutilées par les forces de l’ordre, les « carabineros ». On observe une politique systématique de répression de l’etat au Chili, instituée dans la durée.
Malheureusement, ces mouvements étudiants et civils n’ont pas impacté les fondements de l’Éducation publique au Chili et la situation tend davantage vers l’individualisme. Des réformes ont éliminés des matières essentielles comme la philosophie, l’histoire, les arts et le sport… l’Éducation telle qu’elle a été pensée et institutionnalisée sert à rendre les gens serviles, en favorisant la construction de prototypes. Leonardo Perez a constaté, en travaillant dans l’éducation populaire, l’étiolement progressif de la curiosité et de l’unicité des élèves au cour de leur apprentissage à l’école, jusqu’au moment où, formatés, ils font tous « le même dessin ».
Toutes les réformes ont jusqu’à maintenant accentué les dispositifs néolibéraux en place. Aucune des revendications de ces étudiants n’a été entendue. Ces jeunes ne veulent pas seulement une amélioration du système éducatif, ils veulent transformer l’Éducation publique car c’est la base pour construire la société dans laquelle ils veulent vivre . Mais rien n’a été obtenu.
La dictature à dinsintégré l’unité populaire, le vivre ensemble.
En réponse à cela les jeunes souhaitent une éducation qui les font grandir, qui les poussent à penser et pas a obeir. Leur impact c’est la dignité qu’ils ont. Ils ne sont pas encore détruit par la société, ils ont des rêves. Malgré la volonté de division, les gens se rencontrent, se retrouvent et commence à réfléchir aux notions de biens communs et de communauté. Ils constatent que l’institution ne peut et ne veut résoudre les problèmes et se tourne vers leurs pairs. Le peuple Mapuche, notamment, a une culture des assemblés et attache beaucoup d’importance aux rêves et à la spiritualité. Des rêves que l’on retrouve chez cette jeunesse qui s’unit contre le pouvoir en place.
La grande réussite de ces jeunes, c’est qu’ils ont forgé et alimenté le Réveil du Chili. Les générations précédentes avait jeté l’éponge, ces jeunes ont construit un imaginaire, montrer une autre réalité, dans leur volonté de créer une société et de rendre ce projet de société possible. Ils se sont construit en sujet politique et ont changé leur place dans l’espace social en imposant leurs voix.
Ce documentaire Leonardo a passé quatre ans à essayer de le diffuser.
C’est toujours avec émotion qu’il le revoit car certains de ces enfants attendent toujours leurs jugements, incriminé par la loi anti-terroriste. Ils sont de véritables prisonniers politiques au Chili, comme les Mapuches, tous condamnés et réprimés en toute impunité.
Dans le 19e à Paris, il a créé avec « Resistencia Cultural » un espace de discussion pour réfléchir aux questions d’actualité, d’Éducation, mais aussi aux problématiques sociales actuelles comme l’amenuisement des fonds de pension, etc… Le constat est glaçant, la situation française révèle les mêmes symptômes, les mêmes exactions policières, les mêmes affres. Au chili, nous dit-il, on rêve d’un autre pays mais en France on va vers le vieux Chili.
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Un article de l’ OCDE, par Camila Vallejo Dawling Depuis plus de 30 ans, l’éducation au Chili est considérée comme une marchandise et, par conséquent, le système éducatif chilien comme un marché réglementé, soumis au principe de la rentabilité financière. Au fil des ans, des milliards de dollars ont été transférés des caisses publiques à des sociétés privées, et transformés en profit privé. Pendant ce temps, l’éducation publique au Chili a été complètement abandonnée. L’hégémonie néolibérale a surestimé l’idée de la main invisible du marché, et les établissements publics ont été traités de la même façon que les établissements privés. Le principe de l’égalité de traitement dans le système éducatif chilien s’explique facilement : les ressources publiques injectées dans l’éducation sont distribuées aux établissements publics comme privés, sans critères juridiques permettant à l’État de les distinguer, empêchant ainsi toute discrimination et tout traitement de faveur. Dans ce contexte, tandis que la fréquentation des établissements privés augmente, celle des établissements publics diminue de façon proportionnelle. La politique de financement de l’éducation s’inscrit donc largement dans la logique néolibérale de l’action publique au Chili. Elle est en fait la cause probable de l’état critique dans lequel se trouve l’éducation publique aujourd’hui. Un exemple instructif est le CAE (Crédito con Aval del Estado), un prêt étudiant garanti par l’État qui permet aux jeunes qui n’en auraient normalement pas la possibilité d’accéder à l’enseignement supérieur. Un rapport de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) sur le CAE indique que la façon dont le système est construit permet aujourd’hui aux banques d’accumuler un portefeuille rentable, sans risque, en faisant supporter à l’État la charge de segments très coûteux et en facturant des primes excessives. Pendant 30 ans, (presque) tous les changements institutionnels ont stimulé l’offre du secteur privé, mais pas celle des établissements publics. Nous voyons aujourd’hui les résultats de ces politiques : l’école publique enregistre à peine un tiers des inscriptions, tandis que 15 % seulement des étudiants fréquentent des établissements publics d’enseignement supérieur. Le Chili affiche le taux de fréquentation des universités publiques le plus bas des pays membres de l’OCDE et, avant la réforme du système éducatif, l’éducation publique au Chili semblait condamnée. Dans ce contexte, le programme du gouvernement Bachelet peut être interprété très simplement : l’État doit fournir directement les services d’éducation, cette démarche étant un aspect essentiel du changement d’orientation demandé par la population. Bien entendu, pour en finir avec notre système éducatif néolibéral et faire ainsi de l’éducation un droit social, il est primordial de développer l’éducation publique en tant que moteur du processus de réforme institutionnelle, ce qui renforcera la confiance et la cohésion sociale. Nous ne renoncerons pas à ces objectifs, dont la réalisation exige d’élaborer des politiques publiques pour contrer le néolibéralisme (toujours omniprésent au Chili) et d’instaurer un nouveau système d’éducation publique fondé sur l’engagement démocratique. Le projet de loi sur la réforme de l’éducation vise à renforcer l’accès à une éducation de qualité, sans discrimination sociale et économique. Il va de soi que la transformation de l’éducation au Chili est loin d’être facile. Nous devons dépasser la vision marchande des services éducatifs pour aller vers un système institutionnel capable de garantir le respect de la dignité et de promouvoir l’intégration dans la société. Pour atteindre ce but, le nouveau système doit reposer sur l’équité et renforcer la collaboration citoyenne : les droits de chaque enfant et de chaque jeune, fille ou garçon, doivent être pris au sérieux, sans aucune discrimination. *Camila Vallejo était une représentante étudiante pendant le Mouvement social pour l’éducation publique en 2011. Pour en savoir plus sur l’étude de la BIRD, voir www-wds.worldbank.org Travaux de l’OCDE sur l’éducation |
Camila Vallejo © L’Annuel de l’OCDE 2016 |
Au Chili, étudiants et professeurs militent pour une éducation gratuite
Ce mardi, étudiants et professeurs manifesteront au Chili pour défendre le droit à une éducation gratuite. C’est la première manifestation de l’année d’un mouvement qui n’a fait que grandir depuis 2011. A 7 mois des élections présidentielle et législatives, l’éducation est un sujet crucial. Le point avec Laurie Fachaux, correspondante pour la RTBF au Chili.
Pourquoi cette grogne des étudiants ?
Les étudiants affirment que le gouvernement ne les écoute pas. Vendredi, ils ont donné une lettre au ministère de l’Education, restée sans réponse pour l’instant. Ils n’ont pas non plus retrouvé leurs propositions dans le projet de loi du gouvernement. Un projet d’ailleurs présenté devant la Commission d’Education de la chambre des députés, ce mardi après-midi, après la manifestation.
Mais pas sûr que cette loi passe le cap de ce premier vote. La droite devrait voter contre, tout comme 2 députés de gauche, qui sont d’anciens dirigeants étudiants. Ces députés demandent de reporter le vote, après avoir reçu et écouté les étudiants au Congrès.
Le mouvement étudiant réclame la gratuité pour tous. Il reproche au gouvernement de maintenir en place un « marché de l’éducation » et de ne pas aller assez loin dans des réformes qu’il qualifie de superficielles. Avec la loi de Michelle Bachelet, plus de 200 000 chiliens peuvent étudier gratuitement dans l’enseignement supérieur, à l’université ou dans des instituts techniques, et cela depuis 2 ans. Mais le système de financement reste le même : toutes les écoles sont toujours payantes. Et même dans le cas de la gratuité, c’est l’Etat qui paie les frais de scolarité directement aux universités. Cette gratuité, c’était une promesse de campagne de l’actuelle présidente socialiste Michelle Bachelet. Pour ce faire, l’Etat a augmenté les impôts pour financer cette réforme, mais les universités pour l’instant ne mettent pas la main à la poche.
Certains voient l’éducation comme un bien de consommation au Chili, et cela n’a pas toujours été le cas ?
Jusqu’au coup d’Etat de Pinochet, les universités publiques au Chili étaient gratuites. Aujourd’hui, plus aucune ne l’est. Pire encore :
l’éducation au Chili est la plus chère au monde par rapport au niveau de vie selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). En sachant qu’un Chilien sur deux gagne moins de 435 euros par mois :
- Une année de médecine coûte 7 000 euros minimum,
- Une année d’architecture coûte 5 000 euros
La conséquence de ce système, c’est l’endettement des familles. D’après l’une des principales organisations étudiantes du pays, la FECH, un million d’étudiants est endetté actuellement, contre 700 000 en 2015 et 400 000 en 2011. Un chiffre en constante progression.
Ce lundi, la porte-parole du gouvernement a souligné l’engagement du pouvoir exécutif de « mener à bien les réformes les plus transformatrices » de l’histoire du pays en matière d’éducation.
Si ce manque de régulation sur le marché de l’éducation est à la source du sur-endettement de certaines familles,
il est salué par d’autres…
Le groupe états-unien LAUREATE par exemple, qui détient 70 universités dans le monde dont 5 au Chili, est sous le coup d’une enquête. Il est soupçonné de réaliser des bénéfices sur le dos des étudiants, une pratique en théorie interdite au Chili. Ces soupçons sont aggravés depuis que cette entreprise est entrée en bourse aux Etat-Unis, au NASDAQ, il y a tout juste 2 mois.
Ce système éducatif, décrié au Chili, a été applaudi par la nouvelle Secrétaire d’Etat du gouvernement de Donald Trump, Betsy DeVos. Cette cheffe d’entreprise multimillionnaire souhaite s’en inspirer pour créer notamment des écoles privées subventionnées par l’État.
Comprendre le système de l’éducation chilienne
1 L’État chilien finance l’éducation de près de 93 % de la population scolaire K-121 par le biais d’un système concurrentiel de chèques2, c’est-à-dire un montant fixe par élève scolarisé versé de la même manière à toutes les écoles, publiques et privées, y compris les écoles religieuses, qu’il s’agisse d’organismes à but lucratif ou non. Les familles peuvent choisir librement l’école pour leurs enfants sans la moindre restriction géographique. Toutefois, les écoles privées ne sont pas obligées d’accepter tous les candidats et elles peuvent demander en plus aux familles de s’acquitter de droits d’inscription. L’État impose une réglementation très peu contraignante pour l’ouverture d’écoles (infrastructures obligatoires exigées, programme suivi et personnel enseignant requis) et ne contrôle ni l’usage des ressources ni les gains que peuvent faire les propriétaires des écoles. Inspiré par le néolibéralisme économique, ce schéma imposé par la dictature de Pinochet en 1980 cherchait à déclencher des dynamiques de marché dans l’éducation, en créant une concurrence entre les écoles à travers le libre choix des familles, dans l’espoir que cette compétition améliore la qualité générale du système, soit parce que les écoles de faible qualité éducative « réagiraient » à la concurrence en améliorant leurs services, soit parce que – dans le cas où elles ne le feraient pas – elles se verraient « remplacées » par des écoles de meilleure qualité qui auraient la préférence des familles.
2 Ce système éducatif tourné vers le marché a provoqué une transformation radicale de l’éducation chilienne, transformation qui a bouleversé certains de ses traits historiques les plus caractéristiques. Les écoles privées subventionnées se sont développées de manière exponentielle et éduquent aujourd’hui la majorité des élèves chiliens ; celles qui se sont le plus développées sont les écoles à but lucratif tandis que l’éducation publique (administrée par les municipalités depuis les années 1980) s’est réduite et affaiblie considérablement (avec un taux d’effectifs nationaux passant de 90 % à 40 %. Le secteur privé est très atomisé, ce qui, allié à l’affaiblissement du système public, a pour conséquence qu’au Chili, les compétences professionnelles et institutionnelles en éducation au niveau local sont d’une grande indigence. La privatisation et la concurrence sur le marché ne se sont pas traduites par une amélioration de la qualité de l’éducation :
- les taux de réussite scolaire ne montrent pas d’augmentation significative liée aux dynamiques de marché et les écoles privées ne sont en moyenne pas plus efficaces que les écoles publiques ;
- les taux d’abandon et de redoublement semblent même augmenter dans les endroits où la concurrence est la plus forte ; rien ne prouve non plus que les écoles privées disposent de projets éducatifs ou curriculaires plus riches et variés ;
- en revanche, elles économisent des ressources sur des postes-clés comme les salaires et l’expérience des enseignants.
- enfin, certains éléments permettent d’établir un lien entre ce système de marché et l’extrême ségrégation socio-économique des écoles chiliennes, les inégalités de réussite scolaire et l’application massive de pratiques de discrimination à l’encontre de certains élèves (en raison de leur très faible investissement scolaire ou de problèmes de discipline) et de leurs familles (pour des raisons économiques, culturelles ou religieuses) aussi bien dans les processus d’inscription que durant le parcours scolaire.
3 Depuis 1990, les gouvernements démocratiques ont introduit nombre de dispositifs et de politiques pour résoudre quelques-uns des problèmes mentionnés. L’orientation de ces politiques a varié au fil du temps, depuis – dans un premier temps, de 1990 à 2008 – une approche qui s’efforçait de « compléter » les dynamiques de marché par une intervention plus proactive de l’État pour ensuite – dans une seconde étape, de 2008 à 2014 – tenter de « gouverner le marché » et enfin aspirer finalement, depuis 2014, à éliminer ou à entraver les dynamiques de marché dans le champ éducatif.
Des politiques pour améliorer la qualité
4 Depuis 1990, toute une série de programmes d’amélioration scolaire ont été développés afin de combiner des investissements dans les ressources didactiques et une formation des enseignants à l’innovation pédagogique. Ces programmes avaient un caractère volontaire et promouvaient le rôle joué par l’enseignant pour l’inciter à introduire des pédagogies plus actives. Depuis le début des années 2000, l’on a appliqué des dispositifs plus directifs d’intervention dans la gestion des écoles caractérisées par une faible réussite et des programme « prioritaires » dans certains domaines (comme les mathématiques et la langue), ainsi qu’une extension obligatoire du temps scolaire. Finalement, au cours de cette dernière décennie, a été mis en place un système de reddition des comptes basé sur des tests qui sanctionne (en allant jusqu’à la fermeture) les établissements scolaires qui n’atteignent pas un taux minimal de réussite scolaire mesuré par des épreuves nationales obligatoires.
Des politiques pour créer du capital professionnel
5 En 1991 a été promulgué un statut des enseignants qui réglemente certains aspects fondamentaux du marché du travail enseignant, mais dont l’application dans le secteur privé (qui est devenu progressivement le principal employeur de professeurs au Chili) était limitée. Ce statut a été réformé en 2015 pour améliorer les conditions de salaire et de développement professionnel des enseignants, avec une application obligatoire (même si elle n’est que partielle) dans les écoles privées subventionnées par l’État. Depuis le début des années 2000, et avec plus de force au cours de la dernière décennie, l’État a financé et promu la création d’un marché de cabinets de conseil privés, qui vendent des services d’assistance technique aux écoles pour les soutenir dans leur processus d’amélioration scolaire (y compris en matière de curriculum, d’évaluation et de gestion). Enfin, en 2017, le système d’éducation publique a été réformé par la création d’un réseau national de services locaux d’éducation, qui prendront en charge l’administration de toutes les écoles publiques (en se substituant aux municipalités) et seront financés directement par l’État (autrement dit sur le budget national, même si leurs écoles continueront à être payées par le biais de chèques).
Des politiques contre la discrimination
6 Au milieu des années 1990 a été introduit un système de bourses (administré par le propriétaire de l’école) pour faciliter l’accès ou le maintien dans les écoles privées qui faisaient payer des droits d’inscription. Ensuite, depuis la fin des années 1990 et le début des années 2000, de nombreux règlements ont été promulgués afin d’interdire certaines pratiques discriminatoires dans les processus d’admission scolaire et d’expulsion des élèves. L’on a également créé un ensemble d’incitations économiques (par le biais d’une augmentation de la valeur du chèque) pour inciter les écoles (principalement privées) à éduquer des élèves « plus coûteux », qu’ils proviennent d’un milieu socio-économique défavorisé ou qu’ils présentent de plus grandes difficultés d’apprentissage. Enfin, étant donné la persistance de pratiques discriminatoires, un nouveau système centralisé d’admission scolaire a été instauré depuis 2016 qui, sur la base les préférences des parents, applique un système aléatoire d’affectation des élèves dans des écoles qui font face à une trop grande demande. Cette réforme a mis un terme aux financements publics versé aux écoles à but lucratif et a commencé graduellement (par le biais d’une augmentation de la valeur du chèque et la création d’incitations économiques pour les établissements libres) à éliminer les droits d’inscription demandés aux familles, pour aboutir à la gratuité de toute l’éducation subventionnée par l’État.
7 Il est possible de regrouper les politiques chiliennes pour tenter de « corriger des effets du marché » dans le secteur de l’éducation en quatre catégories : i) les politiques « ingénues », fondées sur des interventions directes de l’État sur la « qualité » de l’éducation, avec l’idée qu’il est possible de « corriger » le marché ; ii) les politiques « bureaucratiques », qui aspirent à réguler et à soumettre à des normes strictes le comportement négatif des prestataires de services éducatifs ; iii) les politiques « économicistes » qui modulent le montant des chèques et ajustent les incitations monétaires pour les prestataires ; iv) les politiques « technocratiques », qui créent un système d’évaluation des résultats et y associent des sanctions en cas de faible réussite des élèves, et qui font confiance à ces mesures pour assurer la qualité de la formation. Toutes ces approches connaissent des réussites partielles mais aussi de sérieuses limites.
8 En somme, ce que révèle le cas chilien, c’est, d’une part, l’énorme puissance transformatrice d’un montage institutionnel basé sur la logique de marché et dont le pilier est le système de financement via les chèques et d’autre part le fait que la tâche de corriger les « effets non désirés » est excessivement difficile, parce que, entre autres raisons, le marché lui-même a fini par affaiblir les institutions publiques (qui devraient mettre en œuvre les réformes) et par constituer un nouveau « sens commun » social sur l’éducation (selon lequel l’éducation n’est pas un droit social ni un bien public).
1 Ce sigle permet de désigner, dans un certain nombre de pays dont le Chili, les douze années de scolarisation obligatoire qui englobent donc l’enseignement primaire et secondaire. (NdT)
2 Employer le terme de voucher en français est un anglicisme ; l’équivalent strict est en effet le « chèque », et la paternité de ce système pour les services publics – et en particulier l’éducation – revient à Milton Friedman. (NdT)
Article de Cristián Bellei, « Lorsque le système de financement constitue le problème : l’expérience chilienne des chèques en éducation », Revue internationale d’éducation de Sèvres [En ligne], Colloque 2019 : Conditions de réussite des réformes en éducation, mis en ligne le 11 juin 2019, consulté le 07 juillet 2019. URL : http://journals.openedition.org/ries/7521
PAR THOMAS GIRAUDET
« ¡Chile despertó! », quand le Chili se réveille
Le peuple chilien ne peut plus et ne veut plus subir. En proie à de violentes manifestations depuis le 7 octobre 2019, le Chili vient s’ajouter à la longue liste de pays connaissant actuellement une vague de mouvements contestataires dans le monde. Entre couvre-feu, état d’urgence et répression des forces de l’ordre, le bilan humain s’alourdit de jour en jour alors que les manifestations gagnent de plus en plus de terrain. « ¡Chile despertó! » (en français, « Le Chili s’est réveillé ! ») : c’est le cri de ralliement venu de la rue.
Tout a démarré suite à l’augmentation du prix du ticket de métro, un prix qui s’était déjà élevé de vingts pesos en janvier 2019. Début octobre, le tarif a de nouveau grimpé de trente pesos, atteignant un montant de 830 pesos l’unité (soit 1,04 euros). Les Chiliens dépendent fortement du réseau national de transports en commun. Voilà pourquoi la hausse du prix du ticket, qui n’est pas sans rappeler la hausse des taxes sur le carburant de novembre 2018 en France, a réuni la plus grande foule dans les rues du Chili depuis la fin de la dictature d’Augusto Pinochet.
L’illusion du « miracle chilien »
Élément déclencheur de soulèvements populaires encore rarement observés au XXIème siècle, cette hausse du prix du ticket met en exergue la précarité des conditions de vie du peuple chilien. Mais, dans une plus large mesure, c’est la lutte contre les inégalités économiques et sociales qui représente la principale motivation des manifestants. En effet, à notre époque, le Chili détient un des plus mauvais indices en matière d’inégalités (0,46 sur le coefficient de Gini). En 2017, 1% de la population concentrait un tiers des revenus du pays (soit 26,5% du PIB national).
Parmi les revendications des Chiliens, on retrouve notamment des prestations sociales comme un meilleur accès aux soins ou aux études supérieures, tous deux relativement chers par rapport au niveau de vie dans le pays. Pour les manifestants, leur situation actuelle résulte d’une trentaine d’années de politique néo-libérale inspirée par les Chicago Boys. Une privatisation progressive du patrimoine commun, une réduction du pouvoir de l’État, une libéralisation de l’économie, la santé et l’éducation : il ne s’agit pas de se battre « pour trente pesos, mais contre trente ans de politique » comme le scandent les manifestants. Depuis un mois, les violences ne font que s’accroître dans l’espace public. Des commerces ont été pillés. Des infrastructures ont été incendiées. Des opérations escargot sont organisées sur les routes reliant Santiago, la capitale, au reste du pays pour s’opposer à l’augmentation des tarifs aux péages routiers. Le métro de la ville de Santiago, qui transporte quotidiennement trois millions de personnes sur une distance totale de 140 kilomètres, ne circule plus en raison de blocages permanents.
Des miettes pour la plèbe
Face à un tel mouvement de contestation, le Président du Chili, Sebastián Piñera, tente d’apaiser la colère populaire en promulguant toute une série de mesures sociales (dont une hausse de l’imposition pour les plus riches, une augmentation du minimum vieillesse et un gel des prix de l’électricité). Il a également renouvelé un tiers de son gouvernement, en particulier le ministre de l’Économie (Juan Andrés Fontaine), le ministre des Finances (Felipe Larraín) ou encore le ministre de l’Intérieur et chef du cabinet présidentiel (Andrés Chadwik). Sebastián Piñera indique que ce n’est que le début de son plan d’action : « Ces mesures ne résolvent pas tous les problèmes, mais il s’agit d’un premier pas important ». Malgré les tentatives gouvernementales de calmer le jeu, les Chiliens affirment que ces quelques concessions ne répondent en rien à leur situation. « La société attendait des annonces beaucoup plus conséquentes » estime Lucía Dammert, sociologue à la Université de Santiago du Chili et porte-parole du Frente Amplio (« Front Large » en français), la coalition politique chilienne de gauche qui veut créer une alternative au bipartisme traditionnel. Elle s’est adressée à Sebastián Piñera : « Président, les Chiliens veulent du changement, pas des mots ! ».
Comme un arrière-goût de dictature
En moins d’une semaine, à cause du climat politique actuel, trois événements d’envergure internationale ont dû être annulés et transférés à l’étranger : la COP25, le sommet de la Coopération Économique pour l’Asie-Pacifique et la finale de la Copa Libertadores, le championnat de football le plus prestigieux en Amérique latine. Dans les rues de Santiago, le danger reste omniprésent. A la date du 6 novembre, l’Instituto Nacional de Derechos Humanos chiffre le bilan humain des manifestations à 23 morts et près de 2 500 blessés. Selon cet organisme public indépendant du Chili, en seulement vingt jours, environ 150 plaintes ont été d’ores et déjà déposées devant les tribunaux pour « tortures et traitements inhumains de la part des forces de l’ordre ». Pour Nancy Yañez, la directrice du Centre des Droits de l’Homme à l’Université du Chili, « le caractère massif de ces violations des droits de l’Homme, en à peine trois semaines, montre la gravité de cette situation sans précédent depuis le début de la transition vers la démocratie » d’après les propos rapportés par Justine Fontaine (correspondante du journal Libération).
L’enseignante de droit, Nancy Yañez, ajoute par ailleurs « qu’à l’instar des Mapuches, pointés du doigt comme des “terroristes” par l’État chilien, les manifestants mobilisés dans les rues du pays ont été désignés comme un ennemi interne ». Le Président du Chili, Sebastián Piñera, a lâché cette phrase au sujet des manifestants qui a fait l’effet d’une bombe : « Nous sommes en guerre contre un ennemi puissant et prêt à tout pour détruire notre gouvernement. » Dans un contexte de répression généralisée, la déclaration susmentionnée n’a fait qu’alimenter le sentiment d’impunité chez les forces de l’ordre, les incitant à continuellement violer les droits de l’Homme. Une catastrophe humanitaire, en somme.
Source : http://www.lejournalinternational.info/chile-desperto-quand-le-chili-se-reveille/
Liliana Felipe (née en 1954, Argentine)
Chanson « Nos tienen miedo »
Résistance culturelle est une société indépendante de production de films documentaire, créée par Leonardo Perez, qui travail sur des questions sociales telles que la vision du monde, les mouvements sociaux, la mémoire historique, etc.
Son objectif principal est d’exprimer le regard d’un auteur, établit à partir des témoignages d’interlocuteurs valables, acteurs véritables des sujets sur lesquels il travail, soucieux de la construction du regard propre.
« Plongée dans un système de décomposition systémique. Quelques (mauvaises) leçons de « l’oasis chilien ». Notes depuis le Chili pour mieux comprendre le néolibéralisme et en sortir là-bas et ici. »
Projet en développement :
Teaser FEUDA 80 https://vimeo.com/293724240
Teaser Curtiendo Esperabzas https://vimeo.com/262499865
Videos de contingencia « Le Basculement »
1 Le système de retraite https://vimeo.com/381754962
2 L’Education formatée pour le marché https://vimeo.com/388932830
3 LE VIRUS https://vimeo.com/396896557
Sauvons l’école vivante https://vimeo.com/337745010
Parents d’élèves mobilisés contre la loi Blanquer Vilette XIX https://vimeo.com/330344542