Los ojos de Santiago
Rodrigo Vazquez/Osain Alvarez | Vietnam, Cuba, Angleterre, Argentine | 88' | 2020
Osaín, fils du légendaire documentariste cubain Santiago Álvarez, effectue un voyage initiatique au Vietnam pour découvrir les raisons et les torts qui ont poussé son père à risquer sa vie pour filmer la guerre des années soixante et soixante-dix. Au Vietnam, Osaín est témoin et dépeint les effets continus de l’Agent Orange 45 ans après la fin de la guerre. travers ce film, les réalisateurs mettent en lumière l’âme de Santiago Alvarez ainsi que la passion et les idées qui ont alimenté son travail cinématographique fondateur.
Projection le dimanch 20 mars à 19h20 en présence de Osain Alvarez, un des deux réalisateurs du film
Les réalisateurs
Osain Alvarez
Ingénieur industriel de profession, il a toujours manifesté un grand intérêt pour la photographie et la vidéo. Ce n'est qu'à 38 ans qu'il décide de s'aventurer professionnellement dans le monde de l'audiovisuel, en suivant plusieurs cours de prise de vue, de son et d'éclairage au Centro de Estudios de Cine de Canarias. Il a couvert des événements sociaux, sportifs et commerciaux aux Canaries, en Argentine, en Colombie, à La Havane et aux États-Unis, imprégnant dans son travail le regard du vieux et du nouveau continent.
Rodrigo Vazquez
Rodrigo Vázquez a obtenu son diplôme de l'ENERC en 1995 et s'est rendu au Royaume-Uni, où il s'est spécialisé dans la réalisation de films documentaires à la UK National Film School. En 1998, il s'installe à Londres et commence à travailler comme réalisateur de documentaires pour les plus prestigieuses chaînes de télévision internationales telles que Channel 4, Al Jazeera English et ARTE France. Ses films d'investigation, d'observation et de fiction ont été projetés et primés dans des festivals tels que l'IDFA, Cannes, la Biennale de Venise et d'autres. En plus de son travail dans le domaine des documentaires d'observation, il a acquis depuis 2001 une expérience croissante des zones de guerre au Moyen-Orient par le biais de longs reportages à fort impact, pour lesquels il a reçu le prestigieux Rory Peck Award en 2003 pour "The Killing Zone", filmé dans la bande de Gaza, étant à nouveau nommé en 2008 et 2019. Rodrigo développe actuellement une série de projets de différents genres en tant que coproducteur "internationaliste" par le biais de sa société de production Bethnal Films.
Pour aller plus loin...
Santiago de Cuba. Découverte posthume de Santiago Alvarez : entre la virtuosité du cinéma soviétique et les fulgurances de Godard. Ironie du sort : le cinéaste cubain Santiago Alvarez est mort quelques jours avant la rétrospective de ses courts métrages au festival du film court de Pantin. Hommage posthume, donc, à ce cinéaste original et […]
Santiago de Cuba. Découverte posthume de Santiago Alvarez : entre la virtuosité du cinéma soviétique et les fulgurances de Godard.
Ironie du sort : le cinéaste cubain Santiago Alvarez est mort quelques jours avant la rétrospective de ses courts métrages au festival du film court de Pantin. Hommage posthume, donc, à ce cinéaste original et engagé, artiste inspiré de la propagande au sein de l’Institut du cinéma cubain. Né en 1919, Alvarez fut journaliste de cinéma, puis directeur des actualités filmées après la révolution castriste de 1959. S’improvisant réalisateur à 40 ans, il se révéla presque aussitôt un maître du montage, combinant les influences du montage dialectique des grands aînés soviétiques et une technique de collage proche du pop-art américain.
Alvarez triture le réel, amalgame films, photos, textes et dessins, sans jamais recourir au palliatif lénifiant du commentaire ; ses bandes-son, aussi incisives que ses images, juxtaposent musique classique, ethnique et pop.
Quand il s’attaque aux USA, cible numéro 1 de Cuba, Alvarez s’avère extrêmement satirique. Ainsi dans L.B.J. (1968), il représente le Président Lyndon Johnson comme un guerrier du Moyen-Age. Le film associe implicitement Johnson, principal artisan de la guerre du Vietnam, aux assassinats politiques américains des années 60 (Luther King, les Kennedy). Mais ce n’est rien à côté de La Estampida (1971), sur l’invasion américano-saïgonaise du Laos en février 71. Dans ce film-tract très bref, scandé par les protest-songs pacifistes de Country Joe et l’hymne yankee version Hendrix, Richard Nixon est comparé à un chimpanzé par le biais du montage, puis, dans un dessin animé, à un cowboy et à un pirate à croix gammée. Cela s’intercale avec des images de combat, titres de journaux, chiffres, slogans, et constitue un ensemble rythmé qui prolonge hardiment les expériences cinétiques d’Eisenstein, et bien sûr de Vertov, inventeur du cinétract.
Graphiste extraordinaire, Alvarez est aussi un authentique documentariste. C’est flagrant dans Hanoi, martes 13 de diciembre, sur le premier bombardement américain d’Hanoi, vu pour une fois du côté des victimes. Le film décrit d’abord le cycle alimentaire des Vietnamiens, avant de montrer ce peuple simple et industrieux « qui vit de poisson et de riz », frappé par l’hystérie meurtrière des USA ; les paysans ripostent aux bombardements depuis les rizières puis continuent à labourer avec leurs buffles. La destruction d’Hanoi, les scènes d’exode ressemblent étrangement à celles de Ciclon (1963), où le cinéaste filme avec une grâce infinie le désastre humain provoqué par le passage d’un cyclone sur Cuba. Alvarez fut de tous les combats tiers-mondistes on verra à Pantin son témoignage sur le coup d’Etat chilien dont il rendit compte avec un langage filmique percutant et une audace plastique à méditer par tous les cinéastes actuels.
Source : https://www.lesinrocks.com/cinema/retrospective-santiago-alvarez-35487-03-06-1998/
Un excellent documentariste peut devenir un bon journaliste, et que la réciproque est aussi vraie.
Même s’il a découvert le cinéma qu’à l’âge de 40 ans, Santiago Alvarez est aujourd’hui, à 70 ans, le plus grand documentariste cubain. Mieux que tout autre, il a su transformer les carences matérielles en esthétiques singulière et forte. Ces films les plus célèbres en témoignent : NOW (1965), HANOÏ, MARDI 13 (1967), 79 PRINTEMPS (1969), MOURIR POUR LA PATRIE, C’EST VIVRE (1976). Comme Joris Ivens, il est un témoin de l’histoire de ce siècle, et ses films portent autant sur Cuba que sur le Vietnam, l’Angola, La Mauritanie ou le Chili.
24 images : Vous avez souvent parlé d’un cinéma urgent, réalisé à chaud, en collant le plus possible à la réalité. J’aimerais que vous définissiez ce concept de cinéma de l’urgence.
Santiago Alvarez : J’ai toujours accolé le qualificatif d’urgence à mon cinéma. Parce que chaque matin, lorsque je me lève, il s’est passé dans le monde environ vingt millions de choses nouvelles. Pendant mes huit heures de sommeil des gens sont morts à cause de la famine ou du manque de soins médicaux, il s’est passé divers actes de violence partout sur la planète, des événements terribles se sont déroulés. Alors, lorsque je me lève, mon premier geste est d’allumer la radio et d’ouvrir le journal pour savoir ce qui s’est passé. C’est ainsi qu’à chaque jour je constate que je ne peux rester là, tranquille, face à ce qui se passe. Je dois répondre à ces événements. C’est pour cela que je fais des films : pour enregistrer, pour informer, pour devenir une sorte de procureur interrogeant les événements qui se sont produits au cours des dernières heures.
24 images : C’est une définition qui est proche du journalisme.
S. Alvarez : Je sais par expérience qu’un excellent documentariste peut devenir un bon journaliste, et que la réciproque est aussi vraie. Parce que la genèse du documentaire se trouve précisément dans le journalisme, qui est aussi à la base d’une grande part du phénomène de la création artistique. Prenons l’exemple de Victor Hugo, qui avant de devenir un grand romancier a été d’abord un grand chroniqueur du monde dans lequel il a vécu. Ses articles sont merveilleux. Il a donc transformé une vocation de journaliste pour devenir le meilleur romancier de son époque. Il s’est passé la même chose avec José Marti, le héros de l’indépendance de Cuba. Avant de devenir un grand poète, il a été un journaliste passionnant. Et c’est encore la même chose pour de grands romanciers comme Alejo Carpentier et Gabriel Garcia Marquez.
24 images : Avez-vous été journaliste ?
S. Alvarez : Oui. J’ai été directeur d’une revue syndicale et j’ai écrit pour différents journaux et revues révolutionnaires. Mais, je n’ai pas été formé en journalisme : j’ai étudié la médecine et la philosophie. Le journalisme et le cinéma sont des choses que j’ai apprises en travaillant.
– 24 images : Comment avez-vous commencé à faire des films en utilisant des matériaux de provenances diverses : archives, photographies, etc. ?
S. Alvarez : La nécessité est presque toujours à la source de la création. Par exemple, lorsque j’ai fait Now, j’étais allé aux États-Unis et j’avais vécu la discrimination raciale. C’était en 1939 et en 1940. Des amis noirs américains m’ont fait cadeau d’un disque de Lena Horne sur lequel il y avait la chanson Now. A partir de là j’ai décidé de faire un film de six minutes, soit la durée de la chanson. C’était le premier vidéoclip de l’histoire. Mais, je ne pouvais pas aller filmer aux Etats-Unis. J’ai donc utilisé des photographies découpées dans les magazines américains — des images de Lincoln, de Luther King, d’incidents raciaux — ainsi que des images d’actualité. J’ai filmé les photographies à la table d’animation et j’ai appris que l’on pouvait faire bouger des photos fixes. J’ai organisé le matériel de manière syncopée et frappante, montant l’image avec rage à partir de la musique. En trois jours le film était monté. En une semaine tout avait été fait. Dans mes films suivants, j’ai souvent utilisé de nouveau des photos, mais aussi des peintures, des graphiques, des caricatures et du texte écrit.
24 images : Justement, parlez-nous de votre utilisation des caractères typographiques.
S. Alvarez : Chaque mot, chaque lettre doit s’intégrer au montage. Je me suis rendu compte que la lettre, la pauvre petite lettre, devenait jalouse des images en mouvement lorsqu’elle restait statique. Je place donc chaque lettre sur la table d’animation et les mots, les syllabes, bougent de différentes façons. La littérature devient partie intégrante du montage, du rythme, de l’esthétique du film. À cause du manque de moyens, j’utilise tout ce qui est à ma portée et je dois arriver à tirer le maximum du matériel.
24 images : Mais, pourtant, vous avez toujours évité d’utiliser le commentaire en voix off. Pourquoi ?
S. Alvarez : J’élabore le récit de mes films à partir des lois du montage. Parce que le montage est au cinéma ce que la typographie est à la littérature : c’est un système parfait, complet, qui comprend tous les signes nécessaires à l’expression. Et lorsque je parle de montage, c’est autant celui de l’image que du son, qui ont une importance égale. D’un autre côté, je ne crois ni aux règles, ni aux normes, ni aux dogmes.
Je crois à la recherche, aux découvertes. Il faut donc explorer sans cesse les nouvelles avenues du montage. Mais pour revenir au commentaire, je cherche à l’éviter parce qu’il ramène le cinéma au stade de la radio. Le commentaire est pour moi une solution de facilité et, conséquemment, la refuser exige un travail beaucoup plus grand au montage.
24 images : Vous parlez de montage. Est-ce que vos références, quant à la façon dont s’exprime votre pensée, se situent plutôt du côté de la politique, comme dans les textes de Marx et de Fidel Castro, ou du côté du cinéma, comme chez Eisenstein ou Flaherty ?
S. Alvarez : Je n’ai pas besoin des écrits de Marx ni de la permission de Fidel pour avoir une sensibilité humaniste. Marx, Engel, Hegel et les autres philosophes font partie de ma culture, comme mes connaissances de l’Histoire, de la géographie, de l’art, des sciences, etc. Eisenstein est un génie, Flaherty est un très grand cinéaste, et il est impossible de contourner leur travail. Tout cela a une influence, mais ce qui compte c’est surtout ma sensibilité, la façon dont je comprends et dont je ressens les choses. Ma principale référence demeure toujours mon sujet. Lorsque je filme au Mozambique ou en Angola, je dois tout savoir de l’Histoire, de la culture, de la géographie, de l’économie de ces pays.
24 images : Vous utilisez des textes de José Martí dans 79 printemps et dans Hanoï, mardi 13. Considérez-vous que le documentariste est aussi un poète ?
S. Alvarez : J’ai connu des caméramans qui étaient correspondants de guerre et qui étaient de grands poètes. Le fait de filmer l’agression impérialiste, de dénoncer la guerre, peut être le geste d’un poète. Ce sont toujours eux, les poètes, qui arrivent à suggérer l’émotion.
Source : https://zintv.org/outil/entretien-avec-santiago-alvarez-1989/
Sélection et introduction par Javier Campo
Santiago Álvarez était un cinéaste, pas un écrivain. Santiago Álvarez était un intellectuel révolutionnaire, pas un intellectuel. Santiago Álvarez était un travailleur du cinéma qui a laissé des écrits cinématographico-politiques dans lesquels il se distancie de tous les stigmates attachés à l’art politique. Il en rend compte dans « Art et engagement » (1968), où il ne désavoue pas l’utilisation des instruments technologiques du cinéma industriel de l’empire, mais plaide pour leur utilisation révolutionnaire et pro-révolutionnaire. En ce sens, ces techniques pourraient être utilisées pour critiquer la Révolution du « premier territoire libre d’Amérique ». Une autre idée hors sujet.
Les théories tiers-mondistes traversent les écrits d’Alvarez. La nécessité de clôturer la catégorie d’intellectuel en la différenciant de celle appropriée par le capitalisme (« l’intellectuel est celui qui parle depuis l’échafaud et médite à son bureau loin du vulgaire »). Bien que, dans le cas d’Álvarez, « encercler » ne signifie pas « fermer », mais plutôt délimiter la notion d’intellectuel engagé afin d' »ouvrir » le débat sur les tâches qui lui incombent dans la seule révolution consolidée en Amérique latine et dans le tiers monde sur la voie de la décolonisation. Un intellectuel s’insère dans sa réalité pour ne pas être un intellectuel « à moitié ».
Le motif de « Film Journalism » (1978) n’est pas seulement le journalisme et le cinéma, mais de mettre fin, une fois pour toutes, au sophisme du choix entre le contenu et la forme, basé sur quelque déclaration dépassée amplifiée par la volonté des critiques et des cinéastes – au service des régimes conservateurs – de séparer, bec et ongles, le cinéma de la politique. Après le développement du raisonnement, Álvarez conclut : » on n’est pas un artiste révolutionnaire s’il y a un divorce entre le contenu et la forme « . Exemplaire.
Un intellectuel révolutionnaire. Un penseur de fond. Santiago Álvarez était un cinéaste, pas un écrivain. Mais il écrivait très bien. Voici les preuves.
Art et engagement.
Par Santiago Álvarez
Un homme ou un enfant qui meurt de faim ou de maladie de nos jours ne peut être un spectacle qui nous fait espérer que demain ou après-demain, la faim et la maladie disparaîtront par gravitation. Dans ce cas, l’inertie est de la complicité ; le conformisme est de l’apologie du crime.
Ainsi, l’angoisse, le désespoir, l’anxiété, sont inhérents à la motivation de tout cinéaste du tiers-monde. Les craintes que l’immédiateté, l’urgence, la dynamique d’un processus comme le nôtre et du monde en général pèsent, blessent les possibilités créatives de l’artiste, craintes qui sont encore assez répandues, sont encore en quelque sorte des préjugés contre la possibilité de créer des œuvres d’art qui peuvent être considérées comme des armes de combat.
Dans une réalité convulsive comme la nôtre, comme celle du Tiers Monde, l’artiste doit être auto-violent, doit être consciemment conduit à une tension créative dans son métier. Sans a priori, sans préjuger de la production d’une œuvre artistique moindre ou inférieure, le cinéaste doit aborder la réalité avec hâte, avec anxiété. Sans envisager de « déclasser » l’art ou la pédagogie, l’artiste doit communiquer et contribuer au développement culturel de son peuple ; et tout en assimilant les techniques modernes d’expression des pays hautement développés, il ne doit pas se laisser emporter par les structures mentales des créateurs des sociétés de consommation.
Il serait absurde de s’isoler des autres techniques d’expression étrangères au Tiers Monde et de leurs précieuses et indiscutables contributions au langage cinématographique, mais confondre l’assimilation des techniques expressives avec les modes mentaux et tomber dans une imitation superficielle de ces techniques n’est pas recommandable (et pas seulement dans le cinéma). Il est nécessaire de partir des structures qui conditionnent le sous-développement et des particularités de chaque pays. Un artiste ne peut et ne doit pas l’oublier lorsqu’il s’exprime.
La liberté est nécessaire à toute activité intellectuelle, mais l’exercice de la liberté est directement lié au développement d’une société.
Le sous-développement, un sous-produit impérialiste, étouffe la liberté humaine. Les préjugés, à leur tour, sont un sous-produit du sous-développement ; les préjugés se nourrissent de l’ignorance. Les préjugés sont immoraux, car les préjugés agressent injustement l’être humain. Pour les mêmes raisons, le conformisme, la passivité, la bulle intellectuelle sont immoraux.
Arme et combat sont des mots qui font peur, mais le problème est d’entrer en contact avec la réalité, avec son pouls… et d’agir (en tant que cinéaste). On perd ainsi la crainte des mots chargés de contenus péjoratifs, dont le créateur est souvent aliéné. Il est nécessaire de sauver les concepts de positions sur la réalité et l’art qui ont été fortement endommagés par les déformations bureaucratiques. La crainte de tomber dans l’apologétique, de voir l’engagement du créateur, de son œuvre, comme une arme de combat en opposition à l’esprit critique consubstantiel à la nature de l’artiste, n’est qu’une crainte irréaliste et parfois pernicieuse. Car pour nous, tant la critique au sein de la Révolution que la critique de l’ennemi sont des armes de combat, puisqu’elles ne sont finalement que des variétés d’armes de combat. Cesser de lutter contre le bureaucratisme dans le cadre du processus révolutionnaire est aussi négatif que de cesser de lutter contre l’ennemi à cause de phobies philosophiques paralysantes.
Je ne crois pas au cinéma préconçu. Je ne crois pas au cinéma pour la postérité. La nature sociale du cinéma exige une plus grande responsabilité de la part du cinéaste. Cette urgence du tiers monde, cette impatience créatrice de l’artiste produira l’art de cette époque, l’art de la vie des deux tiers de la population mondiale. Dans le tiers monde, il n’existe pas de grandes zones d’élites intellectuelles ou de niveaux intermédiaires qui facilitent la communication du créateur avec le peuple. Il faut tenir compte de la réalité dans laquelle on travaille. La responsabilité de l’intellectuel du tiers monde est différente de celle de l’intellectuel du monde développé. Si vous ne comprenez pas cette réalité, vous êtes en dehors de celle-ci, vous êtes un demi-intellectuel. Pour nous, cependant, Chaplin est un objectif, car son œuvre, pleine d’esprit et d’audace, a ému l’analphabète comme le plus instruit, le prolétaire comme le paysan.
Publié dans Hojas de cine, testimonios y documentos del nuevo cine latinoamericano, volume 3, UAM, Fundación Mexicana de Cineastas, Mexico, 1988, p. 35-37.
Journalisme cinématographique
Par Santiago Álvarez.
Le journalisme cinématographique n’est pas un genre mineur, ni un sous-genre. Le déhiérarchiser, le mélanger et ne pas tenir compte de son indépendance par rapport aux autres genres cinématographiques signifie une erreur d’appréciation du contenu et de la forme. Il faut donc affirmer que le journalisme cinématographique est une catégorie à part entière, indépendante du cinéma.
Lors de réunions spécialisées, de colloques, de semaines cinématographiques, de séminaires, nous avons souvent vu le critère du film documentaire être utilisé comme un genre d’accompagnement ou un remplissage supplémentaire au « vrai programme », c’est-à-dire le long métrage avec acteurs.
Une discussion basée sur une comparaison des genres et des langages de l’une ou l’autre façon de traiter la réalité ne nous semble pas productive.
Il n’y a que quelques différences entre le film documentaire et le journalisme cinématographique, à savoir qu’ils abordent la réalité avec un dynamisme différent lors du tournage et du post-filmage. Le tournage d’événements uniques, la plupart du temps non planifiés, est la principale matière première et la caractéristique fondamentale du journalisme cinématographique. C’est la chose la plus importante dans ce genre, dans cette catégorie.
L’avancée de la science et de la technologie détermine toujours un nouveau langage. Ainsi, la science et la technologie permettent aux images d’atteindre plus rapidement les spectateurs, et cette avancée a conditionné une évolution dans l’appréciation de l’information et des nouvelles. Les actualités cinématographiques d’autres pays ont été et continuent d’être, pour la plupart, des chroniques sociales, bien que parfois banales et parfois non, elles restent des chroniques sociales. L’espace qu’ils occupaient sur les écrans du monde entier était de plus en plus réduit, ce qui s’explique non seulement par l’irruption de la télévision, mais aussi par le système arbitré et préjugé des marchés et des distributeurs, imprégné de faux concepts commerciaux en contradiction avec la réalité et l’expérience cubaine, qui montre que le public ne regarde pas seulement les actualités cinématographiques, mais les attend indépendamment du film projeté.
Le journalisme cinématographique, en abordant la réalité comme une nouvelle, enrichit le langage du film documentaire, car le film documentaire d’aujourd’hui n’existe pas sans un haut degré de journalisme. L’utilisation de structures de montage permet de retravailler, d’analyser et de replacer l’information filmée à l’origine dans le contexte qui l’a produite, ce qui lui donne une plus grande portée et une permanence presque illimitée.
Il existe déjà des exemples cinématographiques qui sont le produit d’une interrelation des deux genres et où l’influence réciproque a produit des œuvres dont la permanence et l’efficacité sont incontestables.
Beaucoup de nos documentaires ont eu pour origine l’enregistrement d’un fait divers, d’un événement, d’un fait historique. La genèse de Ciclón, Now, Cerro Pelado, Viva la Revolución, Historia de una batalla. Mort à l’envahisseur. Chronique d’une victoire. Stone on Stone, The Stampede. Hasta la victoria siempre, Morir por la patria es vivir, El cielo fue tomado por asalto, El octubre de todos, El tiempo es el viento, etc. sont des exemples concrets de la façon dont le journalisme a influencé le genre documentaire de manière créative.
De même, les documentaires sur le Chili. El tigre saltó y mató pero morirá, morirá…, Cómo, por qué y para qué se asesina a un general, ont été réalisés à partir de matériel purement journalistique : l’enregistrement de la réalité immédiate, tendue et convulsive de la vie quotidienne était pour les cinéastes un élément essentiel pour le travail ultérieur, qui leur permettait d’offrir une vision « de première main » des faits. L’union de ces événements dans le montage offre alors l’ensemble de la réalité du Chili avant et pendant le coup d’État fasciste. Cette opération intellectuelle, technique, artistique et politique, avec une position idéologique claire, permet aujourd’hui d’analyser les processus politiques révolutionnaires de manière complexe et complète à travers les œuvres cinématographiques.
L’efficacité artistique et politique d’une œuvre cinématographique réside fondamentalement dans la position idéologique claire avec laquelle elle a été produite, parce qu’en fin de compte, la forme devient belle quand elle est basée sur un beau contenu, et on n’est pas un artiste révolutionnaire s’il y a un divorce entre le contenu et la forme. Je pense qu’il est opportun de rappeler que déjà au siècle dernier notre Héros National José Martí, disait « le journaliste a tant de soldat… », parce qu’en fin de compte nous sommes les journalistes de cinéma qui sont chargés d’offrir au monde d’aujourd’hui, où sont débattus des problèmes fondamentaux de vie ou de mort, de libération nationale ou d’impérialisme, des informations sur cette lutte. Et notre travail sera de plus en plus important et de plus en plus décisif, si nous assumons notre rôle et notre travail comme un combat, comme des soldats…
Ceux d’entre nous qui ont eu le privilège de faire du cinéma dans cette partie du monde, dans notre Amérique, ont aussi eu le privilège de vivre dans un monde en transformation et la fonction du cinéma et du journalisme est d’enregistrer chacun des événements de cette époque ; c’est aussi pour cela que nous sommes allés en Asie et en Afrique. Car comme le disait aussi Martí : « La patrie, c’est l’humanité ».
Il y a plus de 200 millions d’analphabètes en Amérique latine. Atteindre et informer sur leurs problèmes ne peut être une tâche pour demain, c’est une tâche pour aujourd’hui et le cinéma, un puissant moyen de communication, capable d’effacer les barrières linguistiques, les limites culturelles et éducatives, doit remplir ce rôle. Dans ce contexte d’explosion technologique, de satellites qui pour le meilleur ou pour le pire remplissent nos cieux, une bonne image vaut mille mots, et l’universalité atteinte par le cinéma a permis et permet de plus en plus un élargissement de la communication et contribue de manière particulière à créer une mémoire visuelle chez le spectateur.
La version déformée et colonisée que l’ennemi tente de perpétuer comme vérité historique doit être vigoureusement combattue par notre travail. Dans le sauvetage de l’identité nationale, le journalisme joue un rôle décisif, qu’il s’agisse de journalisme cinématographique ou de journalisme écrit. Le Noticiero ICAIC Latinoamericano, avec ses 1500 éditions, a fait sien cet héritage, et avec la perspective de notre époque, profitant de tous les progrès dans le domaine de la technologie cinématographique et du langage, il est devenu un moyen efficace de journalisme cinématographique révolutionnaire. Nous pouvons affirmer que la révolution cubaine dispose dans le cinéma cubain d’importantes archives d’images, et nous pouvons ajouter que le cinéma révolutionnaire latino-américain trouvera dans les archives de l’ICAIC des matériaux qui l’aideront à reconstruire la véritable histoire de ses peuples.
Source : http://tierraentrance.miradas.net/2009/03/reviews/escritos-cinematograficos-politicos-de-santiago-alvarez.html